CHARLOTTE ZWERIN - Thelonious Monk, Straight No Chaser

Les premières images de ce documentaire donnent d’entrée le ton ; il est swing et rude ! Thelonious Sphere Monk est debout, il arpente la scène dans une danse étrange puis regagne son piano. Son pied droit s’agite, son corps semble sous l’emprise de rythmes qu’il est le seul à connaître. Ses doigts touchent l’instrument. Ce toucher, son toucher ressemble aux coups de pinceau d’un peintre torturé, qui voudrait dans sa toile, dessiner ce que l’on ne peut voir, composer ce que l’on ne peut entendre…

Warner Studios :: 1988 / 1990 :: acheter ce DVD

Oui, il faut voir Monk sur scène pour le comprendre : quand la musique swinguait comme il aimait, il dansait comme un enfant. Il faut aussi le voir jouer avec ses chapeaux, ses grosses bagues aux doigts : cet homme peut tout faire avec son piano ; il fume une clope, la repose sur le piano, s’essuie le visage avec un mouchoir blanc, tout en continuant à jouer. Il est tout bonnement incroyable ce monsieur. Et le dvd Straight No Chaser nous permet de nous en rendre encore plus compte si tel n’était déjà pas le cas.

Ce bon vieux Clint Eastwood en est le producteur. On le sait, le réalisateur de Honkytonkman est un fan de jazz, de blues aussi, tout comme Martin Scorsese. Charlotte Zwerin, quant à elle, réalise ce documentaire.

Au fond le terme documentaire ne correspond pas à Straight No Chaser. Il s’agit avant tout d’un portrait ; un portrait où la réalisatrice allume une lumière voilée sur certaines pièces du labyrinthe Monk. Peu d’éléments biographiques, d’anecdotes, mais beaucoup d’images d’archives, de musiques, et ce parti pris évite tout voyeurisme et toutes analyses psychologiques mal venues.

On entrevoit donc la complexité de l’homme et de l’artiste, souvent à la limite de la folie. On le sait, Thelonious Monk était un être renfermé, quasi-autiste, qui avait des difficultés avec le monde extérieur. Dire que la musique a été une bouée de sauvetage, une manière pour lui de s’exprimer, serait un raccourci facile et clos, car au fond, il en est de même pour chaque artiste.

Mais chez Monk, ce langage est si particulier, si personnel, que forcément il fascine et subjugue. Son rythme, son jeu semble chercher sans cesse les sentiments et les émotions qui s’agitent en lui. Sa souffrance jaillit, mais avec elle, vient des paroles sincères, des paroles d’amours, de rêves, d’instants rêvés… Par petites scènes, par petites touches, le Monk du quotidien apparaît : un être errant, angoissé, qui tourne sur lui même, et qui a besoin d’amour et d’attention. Lorsqu’il part en tournée avec un octet, on sent une grande tension en lui et autour de lui… la tension d’être incompris, rejeté par un public qu’il l’a souvent ignoré voire boudé… Lui qui pratique diphtongues, accords biscornus, une musique libre, tête chercheuse constante, une musique ô combien personnelle.

Là où ce portrait est d’une classe suprême, c’est qu’il dresse, avec finesse, l’aspect relationnel entre Monk et les autres justement. On devine le rôle important qu’a joué son fidèle saxophoniste : Charlie Rouse, tout comme on pressent le soutien incroyable de sa femme Nellie, sans compter la baronne Pannonica (toutes deux d’ailleurs auront droit à des compositions superbes).

La scène où Monk et Nellie se trouvent ensemble dans une chambre d’hôtel est bouleversante : le mari doit bientôt aller jouer et sa femme l’aide à se préparer, à s’habiller. Durant ses quelques secondes, l’amour, la dévotion et le courage éclatent comme un superbe cri d’amour.

Cet homme semble parfois tellement ailleurs, tellement vulnérable, tellement enfantin, qu’un simple de ses regards constitue une expression bouleversante…

Oui, Straight No Chaser est un portrait magnifique ; un vasistas entrebâillé sur les mondes de Monk. Mais surtout, il donne envie de se plonger encore un peu plus dans l’œuvre à part de ce géant énigmatique, essentiel et tout les adjectifs que vous voulez tant qu’ils restent louanges.

" Souvent le silence est synonyme d'absence, de vide. IL faut gueuler pour exister. Quand on ne dit rien, c'est qu'on ne pense rien. Certainement pas chez Sphere. Dans les petites classes de musique, où des gamins de 4 ans apprennent à chanter ensemble, le plus dur travail de l'éducateur consiste à faire comprendre à l'enfant que, quand il ne chante pas, la chanson continue d'avancer en rythme, et que le silence n'est pas une suspension, mais une réserve. Une réserve de souffle d'idées, de musique. Monk croit à cette réserve. il entend la musique autant qu'il la joue...."

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