ALBERT CAMUS - L'Etranger

Une question : quel est le bouquin préféré des français ? Pas d'enveloppe, pas de suspense, les sondages sont formels, il s'agit du livre d'Albert Camus au titre parfait : L'Etranger.

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Un peu de Baudelaire pour la route :

- Eh! qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger?
- J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... là-bas... les merveilleux nuages!

"Nul n'est prophète en son pays". Cet adage est usé telle la corde des condamnés. Une dernière cigarette ? La culpabilité, les juges, les jurys et cette sentence qui tombe en pluie battante. Drôle d'époque, télé allumée, des gens pseudo-anonymes qui courent derrière un jugement bon ou mauvais. D'ailleurs exploiter le doute, les regrets, les pêchés des personnes pourrait être la poutre principale de ce que l'on nomme téléréalité. Mais passons là-dessus comme Lennon sur Abbey Road.

Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais plus.

D'entrée de jeu, c'est rude. Le ton est donné : désespérant ? Désespéré ? A lire ! "Le je est haïssable", c'est vrai, le "je" est existentiel donc angoissant. Le "je" de Camus se mue en un personnage extrême et radical : Meursault. Il n'a rien d'héroïque ce personnage, pire encore c'est un antihéros en puissance. Meursault est tellement banal en apparence qu'il en devient effrayant.

J'ai eu un moment l'impression ridicule qu'ils étaient là pour me juger.

Meursault vit en Algérie et quelque part il est malade. De quel mal souffre-t-il au juste ? Du fait d'être sur un sol qui n'est pas le sien ? Ce serait trop simple, trop simpliste. Albert Camus, que certains surnomment : "le philosophe pour terminale", a l'ambition de créer un conte universel : je ne suis pas les autres, alors comment puis-je m'en soucier ? les côtoyer ? M'en sortir avec eux ?

Aujourd'hui, le soleil débordant qui faisait tressaillir le paysage le rendait inhumain et déprimant.

L'action de l'Etranger se passe donc en Algérie, ou plus exactement dans un pays en crise identitaire profonde, qui plus est colonie française. Toutefois, l'intérêt, la moelle de l'œuvre se situe ailleurs. Ainsi Meursault vient de perdre sa mère qu'il l'avait placé dans un asile. Dans sa tête, il semble s'en foutre, c'est une excuse comme une autre pour ne pas aller au travail. Emmuré, noyé dans son égo amoral. Un animal ? Quelque part, oui, mais un animal sophistiqué malgré tout.

J'ai pensé que c'était toujours un dimanche de tiré, que maman était maintenant enterrée, que j'allais reprendre mon travail et que, somme toute, il n'y avait rien de changé.

Objection votre honneur (j'ai toujours rêvé de prononcer cette phrase) !

Un copain a une embrouille avec un Algérien, un Arabe, enfin et surtout un Homme : une histoire où une femme est au centre, comme souvent d'ailleurs, rajoutez à cela orgueil fierté et bêtise. Le résultat : plus de dialogue possible, reste la violence irrémédiablement.

Tout mon être s'est tendu et j'ai crispé ma main sur le revolver. La gâchette a cédé, j'ai touché le ventre poli de la crosse et c'est là, dans le bruit à la fois sec et assourdissant, que tout a commencé. J'ai secoué la sueur et le soleil. J'ai compris que j'avais détruit l'équilibre du jour, le silence exceptionnel d'une plage où j'avais été heureux. Alors j'ai tiré encore 4 fois sur un corps inerte où les balles s'enfonçaient sans qu'il y parût. Et c'était comme 4 coups brefs que je frappais sur la porte du malheur.

Même le dernier des assassins a une mère... Mama Lova ? Au final, tout le monde est susceptible, une fois au moins, d'être traité, nommé, désigné : "marginal".

Changement de braqué : on demandait à Tony Montana d'où il était :

Qu'est-ce ça peut te foutre d'où je suis !

D'homme insensible ou sociopathe et que sais-je encore, Meursault devient criminel, criminel malgré lui. Camus, même en étant sur le petit plateau, décrit bien l'acte meurtrier, le basculement sans sauce tomate ni violence gratuite : tuer un humain. Pourquoi ? Une embrouille, une arme, un soleil rouge tapant sur les têtes, et le coup part. Bang ! Bang ! Presque comme un dialogue sans parole, naturellement, de sang froid.

A la barre des accusés, direct sans passer par la case départ et sans toucher 20000 francs. Une fois cet état venu, tout devient différent, surtout le personnage central, criminel dans les actes ou mentalité criminel (cf. le premier Boogie Down Production) ? Avec une certaine finesse, non exempte de maladresses, Camus retourne la situation. Car maintenant que Meursault est un meurtrier, ses actes prennent une autre tournure et l'impression du lecteur évolue.

Pour la première fois depuis des années, j'ai eu une envie stupide de pleurer parce que j'ai senti combien j'étais détesté par tous ces gens-là.

Les martyrs gagnent toujours une part de sympathie, d'empathie aussi. Ainsi, de personnage pas très fréquentable, Meursault devient notre propre reflet. Première œuvre de Camus, comme tout ses livres, il a un goût inachevé, comme sa vie d'ailleurs. A la différence de ce qu'il fera par la suite, L'Etranger est dense et colle aux années 1940-1950 et plus...

Cette œuvre contient de nombreuses pistes, des pistes fondamentales sur notre époque et nos congénères, sur nous-mêmes bien sûr. La condition humaine, bons ou méchants, christ ou Anti-Christ, comme Daft Punk : humain après tout, humain après tous.

Entre ma paillasse et la planche du lit, j'avais trouvé, en effet, un vieux morceau de journal presque collé à l'étoffe, jauni et transparent. Il relatait un fait divers dont le début manquait, mais qui devait se passer en Tchécoslovaquie. Un homme était parti d'un village tchèque pour faire fortune. Au bout de vingt-cinq ans, riche, il était revenu avec une femme et un enfant.

Sa mère tenait un hôtel avec sa sœur dans son village natal. Pour les surprendre, il avait laissé sa femme et son enfant dans un autre établissement, était allé chez sa mère qui ne l'avait pas reconnu quand il était entré. Par plaisanterie, il avait eu l'idée de prendre une chambre. Il avait montré son argent. Dans la nuit, sa mère et sa sœur l'avaient montré son argent. Dans la nuit, sa mère et sa sœur l'avaient assassiné à coups de marteau pour le voler et avaient jeté son corps dans la rivière. Le matin, la femme était venue, avait révélé sans le savoir l'identité du voyageur. La mère s'était pendue. La sœur s'était jetée dans un puits.

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